Le Japon est l’un des rares pays au monde à avoir mis en place un cadre de régulation des échanges de crypto-monnaies aussi rigoureux qu’organisé. Depuis 2017, les plateformes qui veulent opérer sur le territoire japonais doivent obtenir une licence de l’Agence des services financiers (FSA). Ce n’est pas une simple inscription : c’est un processus long, coûteux, et exigeant, conçu pour protéger les consommateurs avant tout. En septembre 2025, le système a subi une réforme majeure : les actifs crypto ne sont plus régis uniquement par la Payment Services Act, mais désormais intégrés à la Financial Instruments and Exchange Act (FIEA). Cette transition marque un tournant : les crypto-monnaies ne sont plus vues comme de simples moyens de paiement, mais comme des actifs financiers à part entière.
Qui peut obtenir une licence ?
Pas n’importe quelle entreprise. Pour postuler, il faut être une kabushiki-kaisha - une société par actions japonaise - avec un siège physique au Japon et un responsable local résident. Ce dernier assume une responsabilité personnelle en cas de non-conformité. Ce n’est pas une formalité : c’est une lourde charge légale. La FSA exige aussi un capital minimum de 10 millions de yens (environ 68 000 USD) et des actifs nets positifs. Cela élimine automatiquement les start-ups sous-capitalisées. Seules les entreprises avec un vrai plan financier et une structure solide peuvent entrer dans la course.
En juin 2025, seulement 21 échanges étaient officiellement agréés. Depuis 2017, 17 ont été radiés pour non-respect des règles. Certains ont eu des failles de sécurité, d’autres ont menti sur leurs procédures de connaissance client (KYC), ou ont ignoré les audits externes. La FSA ne joue pas. Elle supprime les acteurs faibles, même s’ils sont populaires.
Les exigences de sécurité : pas de compromis
Après le vol de 534 millions de dollars de NEM chez Coincheck en 2018, le Japon a réagi avec une rigueur sans égale. Tous les échanges doivent conserver au moins 95 % des actifs des utilisateurs dans des portefeuilles froids - hors ligne, physiquement isolés du réseau. Ce n’est pas une recommandation : c’est une obligation légale. Les 5 % restants, utilisés pour les retraits, doivent être protégés par des systèmes multi-signatures et surveillés en temps réel.
Les plateformes doivent aussi avoir des défenses contre les attaques DDoS capables de résister à des flux dépassant 1 Tbps. Elles doivent avoir une équipe de sécurité disponible 24/7, prête à réagir en moins de 15 minutes en cas d’incident. Les audits externes sont obligatoires chaque année, et les systèmes de détection de blanchiment doivent traiter plus de 10 000 transactions par seconde. Le coût total pour se mettre en conformité ? Entre 500 000 et 1 million de dollars, et ça prend entre 18 et 24 mois.
Le rôle du JVCEA : la police interne
En plus de la FSA, il y a l’Japan Virtual Currency Exchange Association (JVCEA). Ce sont les échanges eux-mêmes qui se sont regroupés pour imposer des normes encore plus strictes. Sur les 21 licences actives, 18 sont membres du JVCEA. Et ils ne plaisantent pas.
Chaque nouveau token que l’échange veut ajouter doit être approuvé par le Comité d’évaluation des tokens, composé de 17 experts. En avril 2025, sur 147 demandes, 106 ont été rejetées - soit 72 %. Les meme coins, les projets sans code audité, ou ceux avec des contrats intelligents mal conçus sont écartés. Le JVCEA a même imposé un gel de 30 jours sur les nouveaux tokens en avril 2025 après une vague de fraudes. Ce n’est pas de la censure : c’est de la protection.
Les limites : moins de produits, plus de sécurité
Le prix de cette sécurité ? Moins de choix pour les utilisateurs. Les échanges japonais n’offrent pas les mêmes produits que ceux de Dubaï ou de l’Europe. Le trading avec effet de levier est limité à 2x - une réduction de 4x en 2023. Cela a fait fuir environ 15 % des traders actifs, selon CryptoCompare. Les utilisateurs qui veulent trader avec 10x ou 50x de levier doivent aller ailleurs.
De même, les tokens populaires comme SOL, ADA ou DOGE arrivent souvent des mois après leur lancement mondial. Il faut attendre l’approbation du JVCEA. Certains utilisateurs se plaignent sur Reddit ou Trustpilot : « Je veux trader les nouveaux tokens quand ils sortent, pas six mois plus tard. » Mais les investisseurs de détail apprécient : 87 % se sentent « très » ou « assez » en sécurité sur les plateformes agréées, contre 63 % dans les marchés non régulés.
Les banques japonaises : un obstacle silencieux
Un autre frein majeur : les banques. Malgré la légalisation des crypto depuis 2017, seulement 8 % des banques japonaises acceptent de travailler avec les échanges. Pourquoi ? Parce que les directives de la Banque du Japon de 2020 interdisent aux banques de détenir directement des actifs crypto. Sans accès aux systèmes bancaires, les échanges ne peuvent pas offrir de dépôts ou retraits en yens facilement. Cela ralentit l’adoption par les particuliers.
Un changement est en cours. En septembre 2025, la FSA a commencé à évaluer la possibilité d’autoriser les grands groupes bancaires - comme Mitsubishi UFJ ou Sumitomo Mitsui - à devenir eux-mêmes des opérateurs d’échange. Mais avec une condition : ils devraient détenir des réserves de capital de 30 % contre leurs avoirs crypto (contre 8 % pour les actifs traditionnels) et subir des tests de stress contre une chute de 80 % du prix. Cela reste très restrictif, mais c’est un premier pas.
Le futur : une régulation unifiée
La transition vers la FIEA en 2025 est la clé du futur. Désormais, les crypto-monnaies sont classées selon leur fonction : si elles servent à payer, elles suivent des règles simplifiées. Si elles ressemblent à des titres (tokens de profit, actifs tokenisés), elles sont traitées comme des actions ou des obligations. Cela élimine le flou juridique qui paralyse les États-Unis, où la SEC et la CFTC se disputent la compétence.
La FSA prépare aussi une nouvelle loi, l’Amendment Act 2025, qui créera un nouveau statut : l’Electronic Payment Instrument and Crypto-asset Intermediary Service Business (ECISB). Ce cadre permettra aux échanges de déclarer officiellement toute nouvelle fonctionnalité avant de la lancer. Pas de surprise. Pas de produits non autorisés. Tout est transparent.
Le but ? Devenir le premier pays au monde à avoir un seul système régulatoire pour les actifs traditionnels et les actifs numériques. Cela attire les institutions : les fonds d’investissement commencent à regarder le Japon comme un marché stable. Selon Nomura Research Institute, le nombre d’utilisateurs de crypto au Japon devrait atteindre 18,5 millions d’ici 2027 - contre 12,1 millions en 2025.
Les critiques : trop rigide ?
Le système n’est pas parfait. L’avocat Masako Tanaka critique le fait que la FSA oblige tous les échanges à utiliser des portefeuilles froids, même si des solutions d’hébergement institutionnel comme Coinbase Custody offrent une sécurité comparable, avec une meilleure efficacité de capital. La Banque du Japon a aussi averti que la coexistence temporaire entre la PSA et la FIEA crée des opportunités d’arbitrage - des failles que les acteurs malveillants pourraient exploiter.
Et pourtant, malgré ces critiques, le cadre japonais reste l’un des plus clairs au monde. Il n’est pas le plus libre, ni le plus lucratif pour les traders. Mais il est le plus sûr pour les petits investisseurs. Et dans un marché où les escroqueries et les pertes massives sont monnaie courante, c’est peut-être la seule chose qui compte.
Combien d’échanges de crypto sont agréés au Japon en 2025 ?
En juin 2025, 21 échanges de crypto-monnaies détenaient une licence active délivrée par l’Agence des services financiers (FSA) du Japon. Depuis 2017, 17 échanges ont été radiés pour non-conformité aux normes de sécurité, de KYC ou de gouvernance.
Quelle est la différence entre la PSA et la FIEA dans la régulation crypto ?
La Payment Services Act (PSA), en vigueur depuis 2017, traitait les crypto-monnaies comme des moyens de paiement. La Financial Instruments and Exchange Act (FIEA), adoptée en septembre 2025, les considère comme des actifs financiers. Ce changement permet de réguler différemment les tokens de paiement et les tokens de type titre (ex. : tokens de profit), alignant la régulation japonaise sur les normes des marchés traditionnels.
Pourquoi les échanges japonais proposent-ils moins de tokens que les autres pays ?
Les échanges doivent obtenir l’approbation du JVCEA avant de lister un nouveau token. Ce comité examine le code source, les audits de sécurité, et la structure du projet. En 2025, 72 % des demandes ont été rejetées. Ce processus ralentit l’arrivée des nouveaux tokens, mais réduit les risques de fraudes et de projets sans valeur.
Le trading avec effet de levier est-il autorisé au Japon ?
Oui, mais limité à un effet de levier maximal de 2x depuis 2023. Cette restriction vise à protéger les petits investisseurs des pertes massives. En comparaison, Dubaï autorise jusqu’à 100x. Cette limite a réduit de 15 % le nombre de traders actifs sur les plateformes japonaises.
Les banques japonaises peuvent-elles travailler avec les échanges crypto ?
Actuellement, seulement 8 % des banques japonaises acceptent de fournir des services aux échanges crypto, en raison d’un interdit de détenir des actifs crypto depuis 2020. Mais la FSA étudie la possibilité d’autoriser les grands groupes bancaires à devenir eux-mêmes des opérateurs d’échange, sous réserve de réserves de capital élevées et de tests de stress.
                                                            
Veerle Lindelauf
novembre 3, 2025 AT 00:23J'ai trouvé ça incroyablement rassurant, surtout après ce qui s'est passé avec FTX... Le Japon a vraiment pris les devants en mettant la sécurité des petits investisseurs avant tout. Même si c'est lent, c'est du solide.
Jeanette van Rijen
novembre 3, 2025 AT 06:54La transition de la PSA vers la FIEA représente une convergence institutionnelle majeure dans le cadre réglementaire des actifs numériques, permettant une intégration systémique des crypto-actifs au sein de l'architecture financière traditionnelle, ce qui constitue un modèle d'alignement juridique exemplaire au niveau mondial.