En Chine, posséder du Bitcoin ou de l’Ethereum est techniquement légal. Mais le vendre, l’acheter, ou même l’échanger contre des yuans ? C’est un crime. Pourtant, malgré une répression sans précédent depuis 2021, les Chinois continuent d’échanger des cryptomonnaies. En secret. En masse. Entre juillet 2022 et juin 2023, ils ont effectué 86,4 milliards de dollars en transactions cryptographiques - plus que tout le marché légal de Hong Kong pendant la même période. Comment est-ce possible ? Et à quel prix ?
La loi interdit, mais le marché persiste
Le gouvernement chinois a commencé à limiter les cryptomonnaies en 2013, en interdisant aux banques de traiter les transactions en Bitcoin. En 2017, il a fermé tous les échanges locaux. En 2021, il a banni à la fois le minage et le trading crypto pour les entreprises. Les plateformes comme Binance ou Coinbase ne peuvent plus opérer en Chine. Les banques doivent refuser tout lien avec les cryptos. Les mineurs ont été expulsés de leurs usines. Les serveurs ont été débranchés. Pourtant, les particuliers n’ont jamais été interdits de posséder des cryptos. C’est une faille. Une faille que les Chinois ont exploitée. Les tribunaux, en 2025, ont même reconnu les cryptomonnaies comme « biens légaux ». Ce n’est pas une autorisation de les trader - mais ça signifie que si vous êtes arrêté pour avoir acheté du Bitcoin, le juge ne peut pas dire que l’actif n’existe pas. C’est un paradoxe juridique : vous pouvez avoir de l’or, mais pas le vendre dans un magasin. Vous pouvez avoir du Bitcoin, mais pas l’échanger contre des yuans sans risquer la prison.Comment les Chinois font-ils pour trader en secret ?
Le système souterrain est complexe, organisé, et hautement technique. Il repose sur trois piliers : les réseaux P2P, les courtiers OTC, et les VPN. Les transactions peer-to-peer (P2P) sont le cœur du système. Des particuliers vendent des cryptos à d’autres particuliers, en échange de virements bancaires. Les plateformes qui facilitent ces échanges - souvent des sites web masqués ou des groupes Telegram - utilisent des systèmes d’escrow : l’argent est bloqué jusqu’à ce que la crypto soit confirmée. Des réputations se construisent. Des traders expérimentés deviennent des « brokers » fiables. Certains gagnent des milliers de dollars par mois en intermédiaire. Les courtiers OTC (Over-The-Counter) sont les véritables acteurs institutionnels du marché noir. Ce ne sont pas des entreprises officielles. Ce sont des réseaux de personnes avec des comptes bancaires à Hong Kong, des contacts dans les banques privées, et des accès à des plateformes internationales. Ils achètent des cryptos en masse sur Binance ou Kraken, puis les revendent à des clients chinois en yuans. Leurs tarifs sont plus élevés - mais ils offrent sécurité, rapidité, et discrétion. Les VPN sont indispensables. Sans eux, les sites comme Coinbase ou Bybit sont bloqués par le Grand Firewall. Les traders utilisent des services professionnels, parfois plusieurs à la fois, pour contourner les blocages. Certains ont même créé leurs propres réseaux privés de proxys, gérés par des ingénieurs locaux. Sans VPN, pas d’accès. Sans accès, pas de marché.Le rôle clé de Hong Kong
Hong Kong est le pont invisible entre la Chine continentale et le monde crypto. C’est là que les Chinois ouvrent des comptes bancaires, créent des sociétés offshore, ou transmettent des fonds via des transferts familiaux. Beaucoup ont des parents, des frères ou des amis vivant à Hong Kong. Ils leur envoient des yuans - qui sont ensuite convertis en cryptos sur des plateformes légales. Le processus est lent, mais efficace. Et il est difficile à traquer, car les transferts personnels ne sont pas surveillés comme les transactions commerciales. C’est aussi à Hong Kong que les courtiers OTC stockent leurs cryptos. Ils utilisent des portefeuilles froids, des signatures multi-signatures, et des protocoles de sécurité avancés. Les transactions entre la Chine et Hong Kong sont des milliers par jour. Et selon les données de Chainalysis, le volume des échanges entre les deux régions dépasse largement ce que les autorités chinoises admettent publiquement.
Qui sont les vrais acteurs du marché ?
Ce n’est pas un marché de petits investisseurs. 70 % des transactions en Chine sont supérieures à 10 000 dollars. 1 sur 5 dépasse les 100 000 dollars. Ce sont des entrepreneurs, des propriétaires d’entreprises, des cadres supérieurs, des personnes ayant perdu de l’argent dans la bourse chinoise - qui a chuté de 35 % en trois ans. Les rendements des actions locales sont catastrophiques. Les entreprises listées ne remplissent même pas leurs prévisions depuis dix trimestres consécutifs. Les gens ne cherchent pas à devenir riches en un jour. Ils cherchent à protéger ce qu’ils ont. Le Bitcoin, l’Ethereum, et surtout les stablecoins comme USDT, deviennent des alternatives à la monnaie locale, dont la valeur est contrôlée par Pékin. Certains utilisent les cryptos pour sauvegarder leur épargne. D’autres pour financer des projets à l’étranger. D’autres encore pour échapper aux restrictions de change.Les risques : pas seulement juridiques
Le plus grand danger ? C’est que la loi change demain. Ce n’est pas une menace lointaine. En mai 2025, des rumeurs ont circulé sur des nouvelles restrictions sur la détention personnelle de cryptos. Même si elles n’ont pas été confirmées, elles ont fait trembler le marché. Les autorités n’ont pas besoin de changer la loi pour faire peur. Une simple perquisition, un arrestation médiatisée, ou une fermeture de compte bancaire suffisent. Les risques opérationnels sont aussi élevés. Les plateformes P2P peuvent disparaître du jour au lendemain. Les courtiers peuvent disparaître avec votre argent. Les VPN peuvent être bloqués sans préavis. Les transferts bancaires peuvent être gelés. Il n’y a pas de service client. Pas de garantie. Pas de recours. Si vous êtes escroqué, vous ne pouvez pas porter plainte. Vous ne pouvez même pas dire que vous avez perdu de l’argent - car vous avez violé la loi. Et puis, il y a le stress psychologique. Vivre dans la peur constante d’être découvert. Ne pas parler de vos investissements à votre famille. Ne pas en parler au travail. Ne pas en parler sur les réseaux sociaux. C’est une vie en double. Une vie cachée.
Le yuan numérique : l’alternative de Pékin
La Chine ne veut pas supprimer les monnaies numériques. Elle veut les contrôler. C’est pourquoi elle a développé le yuan numérique (e-CNY). Ce n’est pas une cryptomonnaie. C’est une monnaie centrale, tracée, surveillée, et gérée par la Banque populaire de Chine. Chaque transaction est enregistrée. Chaque utilisateur peut être identifié. Chaque flux peut être bloqué. Le yuan numérique est la réponse de Pékin à la menace des cryptomonnaies. Pas de décentralisation. Pas d’anonymat. Pas de fuite de capitaux. Juste un contrôle total. Et c’est pourquoi les autorités ne tolèrent pas les cryptos : elles menacent leur modèle de gouvernance financière.Et maintenant ?
Le marché souterrain ne va pas disparaître. Il est trop grand. Trop profondément ancré dans l’économie réelle. Les Chinois veulent des alternatives. Les banques traditionnelles ne leur offrent rien. Les marchés locaux s’effondrent. Les cryptos, même illégales, représentent une échappatoire. Les signes d’un assouplissement sont là. À Shanghai, les régulateurs discutent de réguler les stablecoins. Ce n’est pas une légalisation du Bitcoin. Mais c’est un signal : Pékin pourrait accepter des formes contrôlées de monnaies numériques, tant qu’elles restent sous sa coupe. Pour les traders, la stratégie est simple : rester discrets, utiliser des stablecoins, éviter les grosses sommes, et ne jamais faire confiance à un seul intermédiaire. Pour le gouvernement, la stratégie est la même : surveiller, punir, et attendre que le marché s’effondre sous son propre poids. Mais le marché ne s’effondre pas. Il s’adapte. Il grandit. Il devient plus sophistiqué. Et tant que les Chinois n’auront pas d’autres options, ils continueront à trader en secret. Parce que dans un pays où l’argent est contrôlé, la liberté financière devient un acte de résistance.Est-ce légal de posséder du Bitcoin en Chine ?
Oui, posséder des cryptomonnaies comme le Bitcoin ou l’Ethereum est techniquement légal pour les particuliers en Chine. Cependant, les échanges, le trading, et les transactions avec des yuans sont interdits. Les tribunaux ont reconnu les cryptos comme « biens légaux » en 2025, ce qui signifie que vous pouvez les conserver, mais pas les vendre ou les échanger légalement.
Quels sont les risques de trader des cryptos en Chine ?
Les risques sont élevés : saisie d’actifs, amendes, arrestation, ou même poursuites pénales si vous êtes identifié comme un trader professionnel. Les plateformes P2P peuvent disparaître, les courtiers peuvent vous escroquer, et les VPN peuvent être bloqués sans préavis. Il n’y a aucune protection légale. Si vous perdez de l’argent, vous ne pouvez pas porter plainte.
Comment les Chinois accèdent-ils aux échanges internationaux ?
Ils utilisent des VPN professionnels pour contourner le Grand Firewall, puis accèdent à des plateformes comme Binance ou Kraken. Beaucoup utilisent des comptes bancaires à Hong Kong pour convertir des yuans en cryptos via des courtiers OTC. Les transactions sont souvent effectuées entre particuliers, avec des systèmes d’escrow pour sécuriser les échanges.
Pourquoi les stablecoins sont-ils si populaires en Chine ?
Les stablecoins comme USDT sont utilisés comme intermédiaire. Ils permettent de conserver la valeur d’un actif numérique sans être exposé à la volatilité du Bitcoin. Ils sont plus faciles à transférer entre les comptes bancaires à Hong Kong et les portefeuilles chinois, et ils offrent une certaine stabilité dans un marché instable.
Le yuan numérique va-t-il remplacer les cryptomonnaies en Chine ?
Oui, c’est l’objectif du gouvernement. Le yuan numérique (e-CNY) est une monnaie contrôlée, traçable, et centralisée. Contrairement aux cryptomonnaies décentralisées, il permet à l’État de surveiller chaque transaction. Pékin ne veut pas interdire les monnaies numériques - il veut les contrôler. Le yuan numérique est donc la solution officielle, tandis que les cryptos restent un marché illégal mais persistant.
Le marché souterrain va-t-il disparaître à l’avenir ?
Non. Tant que les investissements locaux restent médiocres et que les contrôles de change sont stricts, les Chinois chercheront des alternatives. Le marché souterrain est trop grand - 86,4 milliards de dollars par an - pour disparaître. Même si les autorités renforcent la répression, les traders s’adapteront. La demande existe. Et où il y a de la demande, il y a un marché - même illégal.